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La bécasse, le lagopède et la chouette borgne: Chronique d’une polémique culinaire suisse

Par Alexandre COL, Président du Safari Club International – Helvetia Chapter, Président du Saint-Hubert Club de France, Président, ex-Président et Membre de diverses associations gastronomiques en Suisse, France et Luxembourg
Article paru dans Le Temps (Suisse) le 20 novembre 2025

  1. Quand un restaurant doublement étoilé se retrouve happé par l’idéologie animaliste

    Je vais être clair : si la Maison Wenger, doublement étoilée au Noirmont (JU) et menée par Jérémy Desbraux – élu Cuisinier de l’année par Gault & Millau Suisse – est aujourd’hui dans la tempête, ce n’est pas pour des raisons culinaires, mais idéologiques.
    Sa faute ? Avoir osé inscrire à la carte deux oiseaux sauvages : la bécasse des bois (Scolopax rusticola) et le lagopède alpin (Lagopus muta).

    Le déclencheur de la querelle ? Un client que je me contenterai d’appeler la chouette borgne. Parce que, comme ce personnage des satires anciennes, il se prétend sage, mais ne voyant rien il en devient dogmatique. Et parce que son indignation repose sur un dogmatisme déconnecté de la réalité biologique, cynégétique et culturelle. Donc polémique.

    Et pourtant…

    Les oiseaux servis par la Maison Wenger proviennent de chasses étrangères parfaitement légales et encadrées, ils sont exportés puis importés en Suisse dans le respect strict des législations.
    Je précise d’ailleurs que ces espèces sont autorisées à la chasse et à la consommation en Suisse, ce que la chouette borgne feint opportunément d’oublier.

    Et pourtant…

    La bécasse des bois est chassable dans 22 pays de l’Union européenne.
    Elle n’est absolument pas menacée : l’UICN la classe en préoccupation mineure, avec une population estimée entre 15 et 20 millions d’individus — stable, large et sécurisée. En France, elle augmente même depuis les années 1990.

    Et pourtant…

    Le lagopède alpin, lui aussi, est classé en préoccupation mineure. La population européenne nicheuse se situe entre 620 000 et 1 700 000 adultes. Les tendances sont stables.
    Mais la chouette borgne préfère désigner la chasse et la restauration comme coupables plutôt que de parler des véritables pressions : ski, tourisme, perte des habitats, réchauffement climatique… beaucoup plus complexes, moins idéologiques, donc moins utiles à ses hululements.

    Et pourtant encore…

    Dans les pays où l’on chasse le lagopède – arc alpin, Scandinavie, Écosse – les chasseurs assurent la gestion des habitats. Sans eux, bien des zones se refermeraient, les milieux ouverts disparaîtraient. Les quotas chassés sont stricts, le prélèvement insignifiant.
    Interdire la chasse ? Ce serait supprimer d’un coup les efforts de gestion, d’entretien, de suivi, essentiels au maintien de ces espèces.
    Mais évidemment, ça aussi, la chouette borgne refuse de le voir.

  2. Derrière la polémique : une idéologie, pas des faits

    Cette affaire illustre une fois de plus un phénomène inquiétant : la montée d’une idéologie animaliste radicale, hostile par principe à tout prélèvement d’animaux sauvages, même lorsque celui-ci est durable, légal, scientifiquement validé et culturellement ancré.

    Ce n’est plus une discussion sur la conservation, la législation, la gastronomie ou l’éthique. C’est une croisade morale.
    Et je me méfie profondément de ceux qui s’érigent en juges moraux des autres. C’est l’origine de toutes les intolérances, de tous les communautarismes, de tous les rejets de l’altérité.

    Je me souviens de la réponse magistrale du Botswana à l’Allemagne, quand celle-ci critiqua la réouverture de la chasse à l’éléphant. Le gouvernement botswanais avait proposé, avec un humour glacé, d’envoyer 20 000 éléphants à Berlin. Quand on aime, on ne compte pas, n’est- ce pas ?

    Ici, le mécanisme est le même.
    La chouette borgne ne cherche pas à discuter, à comprendre, à nuancer. Elle veut interdire, point final. Interdire la chasse. Interdire le gibier. Interdire la culture culinaire associée. Et, par glissement inévitable, interdire toute consommation animale.

    À ceux qui dénoncent la chasse mais mangent sans sourciller du poulet standardisé, gonflé en batterie, je pose toujours la même question :
    Qu’aimez-vous vraiment manger ?
    De la viande industrielle produite en masse ?
    Ou un animal sauvage, prélevé avec mesure, respect, et valorisé par de grands chefs ?

    On peut difficilement défendre la biodiversité tout en rejetant le gibier, qui est justement la viande la plus durable, la plus naturelle, la plus cohérente écologiquement.

  3. Le cas brésilien : quand le militantisme veut dicter la cuisine

    La situation me rappelle un autre épisode récent : le refus du chef brésilien Saulo Jennings, ambassadeur gastronomique de l’ONU, de cuisiner pour les Earthshot Awards à Rio.
    Les organisateurs lui imposaient un menu 100% végan.

    Sa réponse fut limpide :

    « L’Amazonie est durable avec le poisson. »
    « Ils pourraient manger du pirarucu, un poisson noble, savoureux et durable. »

    J’ai applaudi des deux mains.

    Cette polémique comme celle de la Maison Wenger révèle un clivage profond :

    • d’un côté, une vision traditionnelle, culturelle, enracinée, qui voit la chasse durable et la gastronomie du gibier comme une part vivante de notre histoire, de notre gestion des territoires, de notre identité.
    • de l’autre, une idéologie radicale qui ne supporte pas l’idée même de la mise à mort d’un animal, quelle que soit la réalité écologique, culturelle ou juridique.

    Entre la bécasse, le lagopède et la chouette borgne, ce n’est pas seulement un menu qui se joue. C’est notre rapport au vivant, à la culture, à la nature, à la liberté humaine d’en être gestionnaire plutôt que spectateur passif.

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